Avec la réactivité émotionnelle d'une souche pétrifiée par le temps, Rorlia s'émut à hauteur d'une légère raideur au niveau des épaules lorsque les pièces se mirent à pleuvoir. Une odeur de feu et de métal chauffé envahissait l'air, accompagnées du tintement de la monnaie retombant bruyamment au sol ainsi que sur les tas alentours. Rorlia peinait à saisir l'utilité de la chose, la salle du trésor ne se distinguait pas par son mode de rangement révolutionnaire, à savoir l'absence totalement de rangement, les tas d'or se succédant, parfois ponctués d'un tas d'autre chose dont les nombreux objets devenaient rapidement impossibles à identifier dans la masse. Toute cette pagaille la gênait, créant presque un malaise en elle, le monde devait être ordonné pour convenir aux êtres civilisés, la maison de ses parents était toujours soigneusement tenue. Voir un tel étalage de richesses si mal entretenu amenait un malaise, presque de l'irritation qu'elle dût s'appliquer à repousser pour ne pas verser dans le sentimental. Son travail de professionnelle ne pouvait se permettre la tache des sentiments, ils faussent toujours tout.
L'acrimonie ostentatoire de la gardienne rassurait au moins Rorlia sur un point, elle apprécierait qu'elle fasse tout son possible pour protéger la salle du trésor, ce qui promettait aussi certainement une récompense en conséquence. Elle épargna donc les questions sur les moyens disponibles pour rentabiliser temps et labeur de sa part, et se pencha sur la carte, merveilleusement intacte entre les mains de la chienne, afin de prendre connaissance des lieux sans s'encombrer de la vue des monticules parsemant le vaste espace.
Plusieurs portes jalonnaient les murs de la salle du trésor, les portes, selon leur importance, se trouvaient représentées plus ou moins larges, ce qui chagrina Rorlia pour qui la moindre ouverture représentait le même danger. Les cambrioleurs se fichent bien de passer par un seuil de deux mètres sur trois plutôt que de un sur un. Ils passent s'ils le peuvent, et ils ne laissent qu'un trou dans l'or et les reliques derrière eux. Une chose que la chatte ne pouvait accepter, pas si son travail devait contrecarrer leurs plans. Elle mémorisa donc le plan à sa façon, et arpenta la grande pièce en tenant la carte d'un main, jetant parfois un regard dessus avant de vérifier la présence d'un poncif dans la réalité du terrain. Elle dépensa ainsi près d'une demi heure, contournant de son pas égal et souple les montagnes de richesses, évaluant les distances, inspectant les portes, testant les serrures. De son propre avis la sécurité, en dehors des gardes, était lamentable, mais elle connaissait peut être plus de cleptomanes professionnels que la Grande Kanabo.
-Il va me falloir du temps, beaucoup de temps à vrai dire. Toutes les portes ont la même importance, je serais stupide si je ne proposais une bonne serrure que pour la principale en délaissant les ouvertures secondaires, alors je vais devoir réfléchir à un mécanisme pour chaque porte, cela empêchera un voleur d'en examiner une plus discrète que les autres en catimini, puis d'entrer par une autre porte encore. Et je vais devoir travailler ici, en partie du moins, pour tester les mécanismes, les mettre en place, prendre des mesures, ajuster le plan au réel. Si vous acceptez cela ce sera un véritable plaisir que de vous aider, probablement même une entreprise exaltante. déclara la chatte avec l'expressivité d'un cadavre.
Elle imaginait déjà plusieurs conditions à ses serrures. Il lui faudrait un pivot différent autour duquel agencer chaque mécanisme, de sorte à ce qu'ils ne possèdent pas de tronc commun exploitable, mais, ce faisant, elle risquait d'en concevoir de qualités variables, et il était impensable d'installer une serrure au rabais pas rapport à ses consoeurs. Pousser le vice de ses mécanismes jusque dans les derniers retranchements de l’ingénierie serrurière, voila un défi qu'elle appréciait, ses journées seraient nettement plus trépidantes désormais. De plus, elle s'arrangerait pour qu'une serrure ouverte verrouille toutes les autres sans possibilité d'ouverture, dans aucun cas, ainsi ni un clef ni l'habilité d'un crocheteur ne parviendraient à s'en défaire, le malfrat devrait repasser par son entrée. Oui, il s'agissait d'un beau projet, et elle demanderait une bonne paye en retour, quelque chose qui, comme ses créations, ne s'obtenait pas facilement, quelque chose que les gens du commun ne pouvaient approcher. Elle demanderait l'accès à la salle, pour y étudier le butin de Kanabo, cela se révélerait très instructif, Rorlia n'en doutait pas.